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Que ce soit par une phrase ou dix pages, la peinture ne saurait se résumer ; elle échappe à tout discours. Bien sûr, on peut toujours gloser, pour peu que l’on soit imaginatif et puisse trouver un équivalent verbal à son éloquence colorée. Comme l’écrivait Paul Valéry : il faut toujours s’excuser de parler peinture… car, elle, c’est en silence qu’elle fait parler formes et couleurs.Or, celles de Doti vibrent sur un registre particulièrement sensible, dans une variété digne d’un symphoniste ; laissons les donc se répercuter en nous. Avec à peine 35 ans de carrière et déjà six périodes différentes, toutes aussi convaincantes, notre artiste est en bon chemin d’épanouissement : le soleil de son regard se lève assez souvent sur des journées fertiles en découvertes que nous avons le privilège d’apprécier lors de chaque nouvelle exposition.
D’ailleurs Doti était déjà par son éruptive imagination, dans le miroir magique des formes et des couleurs inédites avant de le refléter sur la toile. Certains amateurs et même connaissance ne s’y sont pas trompés puisqu’ils ont enrichi spontanément leur collection de ses innovations pour le moins étonnantes de la part d’un jeune chercheur. Son atelier jonché de sentiers ouverts sur l’inattendu en témoigne magistralement depuis qu’il pris conscience des nécessaires et permanentes remises en cause d’un art en gestation – sans lesquelles il n’est peinture morne et décorative. L’art doit avancer à coups de tête et de cœur dans l’inconnu pour que se renouvellent ses futures révolutions. Doti n’en est pas à révolutionner la peinture, mais demain sa formidable vitalité créatrice pourrait nous révéler une voie originale et royale dont il serait seul maître. La pulsion bouillonnante de l’Âme Catalane. Doti est un point de rencontre en ébullition dans lequel se fond l’ensemble des destinées des peuples slaves. Témoin des Etats successifs et des bouleversements qui jaillissent sur la terre France il se veut le rapporteur de chacun d’eux. Il les transcrit dans le langage universel qu’est pour lui la peinture.

Le talent et le Cœur


Pour parler d’une personne « hors du commun » on emploie parfois, pour bien la situer, le terme de « personnage » Doti, avec tout le vécu de son parcours, répond totalement à cette définition.Qu’on en juge. L’artiste est né le 3 avril 1951 de parents Catalans exilés d’Espagne fuyant le régime fasciste de Franco. Il a connu, tout jeune, les affres d’un racisme qui, à l’époque, accusait les étrangers de « venir manger le pain des Français ». Si les cibles ont changé, la formule a, hélas, gardé bien trop d’adeptes en France. Doti n’a jamais supporté les sarcasmes et les insultes. Très fier, il ne baisse pas la tête sous l’outrage, mais lui répond toujours par des mots et des actes. Il se consacre au service des autres. Il allie le courage et la volonté de bien faire, ce qui lui vaut l’estime de tous. Quand l’heure de la retraite anticipée sonne à 53 ans grande question pour Doti « Moi si actif, que vais-je bien pouvoir faire ? »

C'est le talent, et le cœur


Derrière les riches couleurs qu'il traite avec la volonté d'exprimer la vie, sa peinture donne à voir, elle tente d'aider à comprendre le monde dans lequel nous vivons, mais surtout elle rend au monde sa profondeur, ses dimensions infinies, souvent inacceptables, comme la mort de Lady Dy ,ou les évènements bouleversants du II Septembre. Chez l'artiste Doti, c'est l'innovation qui parle, qui invite au partage avec la présentation de ses œuvres dans différents lieux afin que tous, puissent s'enrichir de cet imaginaire coloré sans limites. C'est le talent, et le cœur.

Racines


Si le travail est pénible, asservissant, il est aussi occasion de rencontres. Fils d'immigré Doti est un éternel nomade, sachant mieux que quiconque que les « racines » vous entraînent à une origine imaginaire, comme une souche, et qu'on ne peut les rendre fécondes qu'en ne les fixant nulle part, qu'il n'est d'identité véritable que par hybridation. La peinture se fait invitation au voyage, à l'opposé de ces placards publicitaires qui ne présentent que des images éblouissantes et stéréotypées dans lesquelles on ne retrouve que ce que l'on connaît déjà. Ici, rien de rassurant. Un inconnu qui a pourtant quelque air familier nous invite à franchir le seuil d'un monde à la fois présent et absent. Qu'allons nous y trouver ? Un être singulier, avec ses mystères, une promesse de dialogue, à hauteur de ce que nous pourrons aussi lui apporter. Le territoire dans lequel nous sommes invités, que nous parcourons, territoire que nous pouvons habiter, n'est pas homogène. Ce serait un lieu d'enfermement. Si l'artiste rend le monde habitable, c'est précisément parce qu'il refuse de le réduire à l'Un, parce qu'il ouvre la possibilité de l'imaginaire, la présentation de ce qui n'est pas actuellement. L'image, c'est la co-présence de plusieurs possibles, pas toujours compatible dans la réalité.

A la rencontre d’un Nouveau Monde


Né en 1951 en France, Doti est un peintre au génie inclassable. Sa soif d’absolu le fait avancer et le fait se battre contre tout ce qui peut entraver la liberté et la justice. Il faut le voir comme un champion d’une époque de mutations difficiles et redoutables. La peinture Doti est certainement l’une des formes que prendra l’art de demain. Une rencontre avec Doti ne peut laisser indifférent. En effet, dès que l’on a franchi le portail de sa maison atelier, on sait qu’il va se passer quelque chose d’important.
Son regard noir vous scrute et vous fixe dès la première minute, à la recherche de votre vraie personnalité. On vient l’interviewer et c’est lui qui vous étudie ! Il ne vous lâche plus, tant sa vie intérieure est intense. Doti a besoin de s’exprimer, besoin de dire, tout surpris si vous comprenez ce qui lui tient à cœur. Il donne l’impression d’être seul, mais on le sent pourtant tourné vers le monde, vers les autres. Rien de tel chez Doti qui n’est l’otage d’aucune géographie plastique ou mentale, même s’il est né à Condom voici un peu plus de 53 ans. Oui, Doti m’intéresse parce qu’il est un artiste qui s’exprime en totale liberté, avec tous les risques que cela comporte. Pour lui, être peintre, c’est avant tout faire un « acte de foi » qui lui permettra peut-être un jour, de se retrouver, de se découvrir. Ses tableaux lui « servent » à se construire, même si apparemment (mais il vaut mieux se méfier des apparences avec Doti) certaines de ses œuvres semblent déstructurées. Pour Doti seule compte la quête qu’il a entreprise vers une vérité qui est la sienne et qui se manifeste, quand on parle avec lui, par des expériences quelquefois provocatrices, mais toujours essentielles. Il faut savoir écouter Doti car bien souvent sa vérité réside dans le silence qui sépare deux phrases, ou encore dans le regard à la fois anxieux et ironique qui paraît attendre une réponse, la réponse…Mais que l’on ne s’y trompe pas Doti est d’une grande solidité quant à sa démarche picturale. Il sait par ou passer pour aboutir au centre du labyrinthe d’où il ressortira encore plus fort qu’avant, après avoir triomphé de son Minotaure. Sartre avait tort de dire : « L’enfer, c’est les autres ». Il est beaucoup plus juste de dire : « L’enfer, c’est moi-même ». Doti est indomptable, tant sa réalité d’être est importante, et tant sa vision de la vie l’entraîne à travers des paysages rudes qu’il sait traverser sans se soucier des blessures. J’avais déjà vu il y a quelques années des œuvres de Doti et je dois dire qu’elles m’avaient interpellé avec force. Mais ces nouveaux tableaux sont encore plus expressifs et peut-être encore plus émouvants. Car il y a de la détresse dans l’œuvre de Doti une détresse stimulante pour l’homme d’action qu’il est, une détresse de laquelle peut naître le changement, en un mot, une détresse courageuse, sans abandon aucun, pour construire. Mais surtout, au fond de lui-même, Doti a l’humanité des grands, l’humanité de ceux qui savent que tout est relatif, que tout est provisoire, à part la mort et l’amour idéal. Cela n’empêche pas qu’il tienne à sa réussite. Mais s’il peint, c’est surtout pour exister à ses propres yeux, et rechercher son point initial qui se situe quelque part au-delà de l’horizon des hommes.

Pourquoi peindre ?


Il y a certainement, à cette question, une multiplicité de réponses. Se lancer dans cette aventure, à l’automne de sa vie, au moment où l’on se retire d’une existence d’affaire, en y mettant l’énergie d’un jeune homme, suppose qu’on l’assume à chaque instant, dans l’acte même de peindre. De deux choses l’une : soit la peinture est un retrait du monde vécu, l’ouverture à un imaginaire réjouissant ; soit on y entre avec l’expérience humaine acquise en ces lieux d’où toute beauté semble exclue. C’est ce dernier parti qu'a pris Doti. Même dans ses peintures les plus abstraites le rapport au réel se fait sentir. A l’opposé de ce que serait une image illustrative. Nous sommes sortis de l’ère des propagandes officielles, pour entrer dans celles des images spectaculaires qui circulent, s’échangent et confirment chacun dans sa situation de ces images qui ne demandent qu’à être reconnues tellement elles s’imposent à nous.

Territoires


La toile devient un territoire imaginaire que le spectateur est invité à parcourir, à explorer, voire habiter. Territoire : pas une simple étendue, mais une composition de lieux différenciés, hiérarchisés, espace de cheminement, d’ancrage, d’appartenance. La couleur valorise les différences en constituant des zones de plus ou moins grande intensité, qu’une ligne parfois sépare. Le plus souvent la ligne est peinte, plus ou moins épaisse, perméable, séparant et unissant à la fois les différents lieux, assurant les échanges ou les transitions entre elles. La surface peinte expose un parcours : parcours du peintre qui l’a habitée, dont la touche nous en montre les traces et le rythme ; parcours l’œil qui n’est pas contraint ou guidé, mais qui simplement sait ne pas être le premier occupant, ne pas être seul dans sons cheminement. Alors Doti a-t-il un « message » à transmettre ? Je pense que plus authentiquement, il ne veut que nous parler avec ce langage qui lui est propre, la peinture : il n’a rien à défendre, personne à convaincre. Son désir ? Peut-être entrer en communion avec ceux qui sont de même nature que lui, avec ceux qui pensent aussi que la vie doit être vécue dans ce qu’elle a de plus indéfinissable, de plus imperceptible.

Résister


Résister, pour débusquer l’humain là où on ne va pas le chercher, telle est la rage qui l’anime. La peinture est chez lui une manière de penser : la sensibilité, l’imaginaire se conjuguent avec réflexion. « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », la formule de Térence pourrait être sa devise. Telle est sa fidélité, ou sa foi, si l’on veut. Le mot est le même. On comprend alors que le rapport qu’il entretient avec l’abstraction est troublé. Ce que je suggérais sur la devise de son œuvre en trois actes le laisse entendre : il est toujours possible, comme les titres eux-mêmes l’évoquent souvent, de voir dans ses peintures la référence humaine ; de faire l’expérience, en partant du sensible, voire de la simple sensation, d’un visible insaisissable sans le moment de réflexion.

L’Exigence et la jubilation


A quoi reconnaît-on un peintre ? A la singularité de ses formes, à sa façon unique de les mettre en espace, à l’usage mystérieux qu’il fait de la matière et de la couleur – entre la fluidité d’un Matisse et la pâte dense d’un Tapiès, pour prendre les deux extrêmes. Que ce peintre réussisse à trouver son langage à partir de chacune de ces composantes et à le mettre en œuvre par une impérieuse nécessité, alors celui-ci est à coup sûr un authentique créateur. Dans le cas inverse, il ne sera qu’un épigone ou un faiseur. J’ai risqué ce préambule qui semble aller de soi pour mieux affirmer que Doti appartient, on l’aura compris, aux deux extrêmes. Doti se sert de la peinture ou du dessin, comme d’un support d’expression universel, plus puissant, plus efficace, et plus international que celui de la langue. Quant au style que Doti développera, il est une combinaison de figuration et de surréalisme, de laquelle naissent des êtres aussi étranges que sont les habitants de cette terre, s’ils étaient soumis au regard inquisiteur d’un être suprême, autre que celui de leur créateur.

Couleurs


Couleurs généreusement étalées ou bien empâtées. Ocres jaunes, acres rouges, bleu outremer ; chaleur des jaunes qui irradient ; nuances des blancs, jusqu’au gris. La couleur est la matière même de la peinture, la substance des choses, en mêmes temps qu’elle constitue l’espace pictural. Les formes, chez Doti, ne procèdent pas de ligne abstraite, d’une idée, mais sont pétries dans la matière dont elles sont faites. La couleur constitue la forme, de deux façons.
Dans un premier temps, elle lui confère l’énergie qui la fait exister, exprimant la puissance sans laquelle elle ne saurait s’affirmer là. Plus tard, c’est toute la toile qui sera habitée par la couleur, comme traversée par des flux d’énergie divers, la forme apparaissant alors comme une concrétion singulière, ne pouvant exister que par les échanges qu’elle noue avec le milieu duquel elle participe. Un premier survol des peintures de Doti permet de distinguer différentes pulsions à l’œuvre. Elles le poussent à créer, parfois de façon concomitante des peintures de facture radicalement opposées mais qui trouvent leur unité dans la personnalité complexe du peintre :. la sensualité des natures mortes et leurs harmonies de pastels ou leurs contrastes sombres qui suggérent la fin inéluctable, tout cela selon la tonalité des objets décrits..la douceur des froissés qui laisse deviner de nombreuses blessures que le froissement du tissu métamorphosé par la couleur va tenter de sublimer. Aussitôt la raison des innombrables craquelures, évidentes à souhait, qui forment la trame de chaque toile se comprend. Fissures du temps, filaments arborescents, duites colorées, strates généalogiques : les coulées d’huile ou d’acrylique contribuent à quadriller l’espace. Rétracté, le plan chromatique peut apparaître comme un refuge mais aussi comme un piège arachnéen. Tissu organique désormais, l’espace devient corps. Corps de souffrance, certes mais également corps de vie. Ce qui auparavant témoins, visages ovales, rotondités des pupilles, se mue en autant de cellules, d’œufs, d’embrayons dynamiques. Et la femme, lourde, remplie de semence humaine, soudain fascine. Emergeant le plus souvent de la côte du Christ, la créature féminine, au ventre lisse et bombé, semble être avant tout un principe de genèse : terre féconde, lumière protectrice, asile délicat. Et pourtant déjà, çà et là l’efflorescence de vergetures blafardes et de fines varices vient rappeler qu’en toute genèse un principe adverse est actif. Vaste requiem, la peinture de Doti est toute entière traversée par les élans de la vie comme par les ruptures de la mort. Mieux : plaie aux cicatrices visibles, elle ne cesse d’affirmer la vie dans la mort. Je tâcherais de le montrer à l’œuvre sur quelques peintures précises. La difficulté est de ne pas plaquer des concepts généraux sur des toiles qui ne les supporteraient pas. Il faut donc fournir l’effort d’une attention à une œuvre singulière. Or chacune d’elle y contraint le spectateur : toute la peinture de Doti se met à distance de ce que l’on pourrait nommer le « lieu commun » de la sensation humaine, de ce qui peut convenir à toute sensibilité parce que faisant fond sur le simple fait de sentir. Un tel « lieu commun » existe bien comme condition de l’individualité. Mais celle-ci n’existe qu’en singularisant, à travers une expérience ambiguë, certains traits de ce fond commun pré-individuel. C’est cette singularité qu’il cherche à exposer dans sa peinture, au risque de diviser ses spectateurs : on ne peut regarder l’une de ses toiles en cherchant d’abord à se reconnaître ; on doit, au contraire, interroger ce qu’elle a de singulier, comme lorsque nous rencontrons un être humain unique avec lequel nous lions amitié. Une autre démarche serait « trop généraliste » comme il dit. Entendez par là qu’elle relèverait simplement du « on », de ce pré-individuel, anonymat dans lequel on ne croit se retrouver qu’à condition de se perdre. Pour la même raison, le mouvement de l’œil n’est jamais descendant : la lumière ne provient pas d’une source extérieure, transcendante. Inséparable de l’ombre, elle est mode d’exploration, d’investigation de ce qui s’expose sur la toile, immanente aux formes et à l’espace dont elle est une expression.

Il doit donner des couleurs au futur


J’évoquais plus haut les formes qui permettent d’estampiller un peintre. Cet « Esprit des formes » sur lequel Elie Faure a écrit tant de pages admirables, il appartient au créateur de le chercher pour tenter de saisir le sens intime des figures de l’espace et du temps. Chaque peintre ou sculpteur devrait garder présente à l’esprit cette phrase du génial critique : « Toute l’histoire d’un artiste, toute l’histoire d’une école, toute l’histoire de l’art est dominée et conditionnée par ce drame – par l’impérissable désir de retenir la vie universelle qui nous échappe à tout instant dans l’image capable de la définir pour toujours. » Je dirai pour ma part, en guise de conclusion, que le peintre doit barricader l’espace par un réseau de signes intelligibles, atomiser son cerveau en œuvre d’art. D’une beauté, fût-elle tragique, il doit donner des couleurs au futur.